De plus en plus de posts sur les réseaux sociaux visent à s’indigner du fait que le gérant de la plateforme Télégram a été mis en garde à vue afin de s’expliquer sur de potentiels délits en soutenant que cette garde à vue ne peut être que la démonstration d’une atteinte radicale à la liberté d’expression.
Il nous est nécessaire de revenir sur certains points afin de clarifier quelques contre-vérités propres à ce débat que clame la toile.
La garde à vue de Pavel DUROV qui se termine en ce 28 août 2024 n’est pas à proprement parler une atteinte à la liberté d’expression au seul motif que la liberté d’expression n’a jamais voulu signifier qu’on est libre de tout dire et de tout faire sur les réseaux sociaux.
Par ailleurs, ce n’est pas la capacité personnelle de Pavel DUROV à communiquer et donc à s’exprimer qui est en cause dans le cadre de cette affaire mais le sujet de savoir si dans son rôle d’hébergeur de contenu publié par des tiers, il peut être retenu contre lui des faits de complicité pour l’ensemble des délits et crimes opéré sur la plateforme dont il est le gestionnaire.
Dans le présent article, nous allons mettre de côté notamment les notions liées à la morale pour ne concentrer notre analyse que sur le droit.
En effet, ce n’est qu’en se défendant des délits et crimes dont il est accusé que Pavel DUROV parviendra à ne pas être mis en examen à ce titre et non en faisant une critique d’ordre général sur le fait que le mettre en garde à vue est par nature une atteinte à la liberté d’expression.
I. Quid de la complicité de Pavel DUROV ?
A propos des délits et crimes pour lesquels il est poursuivi, un communiqué de presse du procureur de la république en date du 26 aout 2024 clarifie avec précision les délits et crimes pour lesquels M. DUROV est invité à s’expliquer dans le cadre de la garde à vue.
Les qualifications pénales sont les suivantes et sont au nombre de douze :
1. Complicité - Administration d'une plateforme en ligne pour permettre une transaction illicite en bande organisée,
2. Refus de communiquer, sur demandes des autorités habilitées, les informations ou documents nécessaires pour la réalisation et l'exploitation des interceptions autorisées par la loi,
3. Complicité - Détention de l’image d’un mineur présentant un caractère pédo pornographique,
4. Complicité - Diffusion, offre ou mise à disposition en bande organisée d'image de mineur présentant un caractère pornographique,
5. Complicité - Acquisition, transport, détention, offre ou cession de produits stupéfiants,
6. Complicité - Offre, cession ou mise à disposition sans motif légitime d’un équipement, un instrument un programme ou donnée conçu ou adapté pour une atteinte et un accès au fonctionnement d’un système de traitement automatisé de données,
7. Complicité – Escroquerie en bande organisée,
8. Association de malfaiteurs en vue de commettre un crime ou un délit puni de 5 ans au moins d’emprisonnement,
9. Blanchiment de crimes ou délits en bande organisée,
10. Fourniture de prestations de cryptologie visant à assurer des fonctions de confidentialité sans déclaration conforme,
11. Fourniture d'un moyen de cryptologie n'assurant pas exclusivement des fonctions d'authentification ou de contrôle d'intégrité sans déclaration préalable,
12. Importation d'un moyen de cryptologie n'assurant pas exclusivement des fonctions d'authentification ou de contrôle d'intégrité sans déclaration préalable
Cet inventaire nous oblige à vous expliquer les quelques subtilités propres à la notion de « complicité » en droit pénal.
L’article L 121-7 alinéa 1 du Code pénal dispose que :
« Est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation ».
C’est exactement ce qui est reproché à Pavel DUROV pour l’ensemble des chefs d’accusation dont il n’est pas directement le responsable.
La complicité vaut par principe au complice du crime ou délit envisagé d’être condamné à la même peine que celui qui en est l’auteur principal.
Dans la pratique, les juges tiennent compte du niveau de complicité propre à chacun des délits et crimes envisagés, mais cela n’empêche pas que le risque pénal pesant sur la tête de Pavel DUROV est équivalent à celui de ses utilisateurs pouvant être qualifiés d’auteur de l’infraction.
La deuxième qualification pénale met selon nous en lumière le cœur des accusations portées contre M. DUROV, à savoir le constat factuel que sa plateforme ne fait pas le nécessaire pour que « les informations ou documents nécessaires pour la réalisation et l'exploitation des interceptions autorisées par la loi » soient communiquées aux autorités.
Dès lors, si nous revenons sur la définition même de la complicité, il ne s’agirait pas de dire que M. DUROV participe activement à l’ensemble des infractions commises sur sa plateforme mais qu’en ne faisant pas le nécessaire, notamment en n'agissant pas promptement, une fois les contenus signalés par les personnes concernées et les autorités de l’état, il pourrait lui être reproché d’être complice par aide ou assistance du crime ou délit envisagé et de faciliter sa consommation.
Selon nous c’est bien ce point qui fera l’objet du débat entre les juges et le parquet.
Peut-on ou non lui reprocher d’avoir par son attitude facilité la consommation de l’ensemble des crimes et délits listé plus haut ?
II. En dehors de la complicité : la question du chiffrement
Cette partie fera l’objet d’une analyse beaucoup plus courte tant les conclusions sont binaires.
Les qualifications pénales 10, 11 et 12 reprochent à M. Pavel DUROV la « Fourniture de prestations de cryptologie visant à assurer des fonctions de confidentialité sans déclaration conforme », « Fourniture d'un moyen de cryptologie n'assurant pas exclusivement des fonctions d'authentification ou de contrôle d'intégrité sans déclaration préalable » et « Importation d'un moyen de cryptologie n'assurant pas exclusivement des fonctions d'authentification ou de contrôle d'intégrité sans déclaration préalable ».
Sur ce point, il faut savoir que l’article 31 de la Loi de Confiance dans l’économie numérique (LCEN) dispose que :
« La fourniture de prestations de cryptologie doit être déclarée auprès du Premier ministre. Un décret en Conseil d'Etat définit les conditions dans lesquelles est effectuée cette déclaration et peut prévoir des exceptions à cette obligation pour les prestations dont les caractéristiques techniques ou les conditions de fourniture sont telles que, au regard des intérêts de la défense nationale et de la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat, cette fourniture peut être dispensée de toute formalité préalable. »
Un décret est venu préciser que généralement les moyens de cryptologie n’assurant pas exclusivement des fonctions d’authentification ou de contrôle d’intégrité sont soumis à une procédure soit de déclaration préalable, soit d’autorisation du Premier ministre.
Le fournisseur doit adresser son dossier à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI).
Cette déclaration comprend la mise à disposition de la description des caractéristiques techniques du moyen de cryptologie en cause ainsi que du code source des logiciels.
On peut comprendre que pour diverses raisons, Telegram n’ait pas voulu décrire avec précision les caractéristiques techniques des moyens de cryptologie utilisés et le code source des logiciels.
Il n’en demeure pas moins que cette obligation légale pesait sur elle.
Sur cette partie, il faut bien comprendre que le fait pour Telegram de fournir depuis un état membre de l’Union Européenne des moyens de cryptologie suffit à considérer qu’elle était tenue de respecter cette obligation.
Là encore, il reviendra à Telegram de démontrer si oui ou non ladite déclaration préalable a été réalisée. Si tel n’a pas été le cas, elle s’exposera invariablement à être sanctionnée à ce titre.
Ce tour d’horizon des motifs pour lesquels Pavel DUROV est en garde à vue visait avant tout à rappeler que ce ne sont pas des accusations loufoques qui pèsent sur lui mais bien des omissions déclaratives et un manque de collaboration pouvant être interprété comme de la complicité.
Il reviendra à Pavel DUROV et ses conseils de s’en défendre afin de ne pas être mis en examen puis condamné à ce titre.
A bon entendeur.
Sadry PORLON (Avocat Fondateur)