Avertissement : Ce papier ne se veut pas la critique objective d’un conflit entre deux individus qui ne sont pas mes clients, mais un prétexte pour vulgariser quelques notions de droit liées avant tout à la liberté d’expression à travers le sujet « réseaux sociaux » qui fait parler en ce début d’année.
Il n’est donc ni un moyen de dire qui a raison et qui a tort et…encore moins de mettre une nuance (rare dans ce type de conflits où l’animosité personnelle est palpable) consistant à dire que… parfois l’un peut avoir raison tout en ayant tort un peu plus tard.
Nous n’allons donc traiter le sujet lié à ces Youtubeurs spécialisés dans l’automobile qu’à l’aune de la vidéo de Sylvain LEVY. Encore une fois, ce papier ne prétend pas à l’exhaustivité parce qu’il n’est qu’un prétexte pour parler de notions de droit à travers la vidéo de l’un des protagonistes.
https://www.youtube.com/watch?v=r_aojYqud_0
Traitons-les, les unes après les autres :
Quid de l’accord de confidentialité signé entre les deux parties ?
Il apparaît dans la vidéo de Sylvain LEVY que les deux protagonistes ont signé un accord de confidentialité les obligeant à ne pas se dénigrer l’un l’autre.
C’est un accord assez classique dans ce type de situation. Il prévoit que si l’une des parties parle, elle doit, pour non-respect de cet accord, verser une somme (souvent fixée pour dissuader quiconque de parler) fixée dans une clause dite pénale - qui sera exigible par l’autre partie indépendamment des dommages-intérêts qui pourraient être réclamés devant les tribunaux en sus de cette somme d’ores et déjà acquise.
Si Pierre CHABRIER a parlé le premier il y a quelques mois sans respecter cet accord, c’est donc à ses risques et périls sur ce point. Ainsi, si le 9 janvier Sylvain LEVY a répondu on peut raisonnablement considérer qu’il n’a pas violé un accord préalablement signé qui du fait de la violation préalable par Pierre CHABRIER dudit accord n’existait déjà plus. La violation d’une clause essentielle d’un contrat par l’une des parties entraîne de fait la résiliation unilatérale par cette partie du contrat et l’empêche donc de faire valoir à son profit le bénéfice du contrat.
Sylvain LEVY est-il allé trop loin dans ses précisions ?
En droit, tout ou presque est affaire de contexte. Le juge peut raisonner de façon binaire en constatant si oui ou non telle ou telle personne a violé une règle de droit, mais le plus souvent, notamment en matière de diffamation, il tient compte des éléments extrinsèques aux propos tenus.
Le fait que Sylvain LEVY ait inscrit sa réponse dans une réplique à celle publiée par son ex-associé quelques mois plus tôt a une importance concernant la question de la diffamation éventuelle.
Une notion de bonne foi permet, en effet, au juge de reconnaître que, notamment quand les preuves apportées sont suffisantes et qu’elles s’inscrivent dans une démarche d’intérêt général, une mise en cause blessante puisse être excusée.
En somme, dans un tel cas de figure, le juge reconnaît que la diffamation est constituée (imputation d’un fait déterminé portant atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne) mais que les preuves apportées empêchent qu’elle soit sanctionnée.
Sans rentrer trop dans les détails de la vidéo, les seules imputations déterminées susceptibles de porter atteinte à l’honneur et à la considération de Pierre CHABRIER concernent une histoire de chèque volé détenu en complicité avec une banque.
Si d’aventure Pierre CHABRIER devait envisager d’agir à ce titre sur le terrain de la diffamation, il faudrait alors qu’il s’assure que cette très courte allusion est factuellement fausse et que son ancien complice pourra être pris en flagrant délit de mensonge.
De la question de la vie privée de Pierre CHABRIER
Un passage de la vidéo de Sylvain LEVY traite de la vie privée de Pierre CHABRIER. Il est indiqué avec plus ou moins de subtilité (plutôt moins que plus) qu’il s’est montré infidèle par le passé.
Historiquement, l'adultère a été considéré comme un fait portant atteinte à l'honneur et à la considération. Cependant, l'évolution des mœurs et des conceptions morales a conduit à une réévaluation de cette notion. La jurisprudence récente tend à considérer que l'imputation d'une infidélité conjugale n'est plus nécessairement de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération.
En ce sens, la Cour de cassation a considéré dans un arrêt de principe que :
« Mais attendu qu'ayant exactement énoncé, d'une part, que l'atteinte à l'honneur ou à la considération ne pouvait résulter que de la réprobation unanime qui s'attache, soit aux agissements constitutifs d'infractions pénales, soit aux comportements considérés comme contraires aux valeurs morales et sociales communément admises au jour où le juge statue, d'autre part, que ces notions devaient s'apprécier au regard de considérations objectives et non en fonction de la sensibilité personnelle et subjective de la personne visée, la cour d'appel, loin de se borner à relever que l'adultère était dépénalisé depuis quarante ans, a retenu à bon droit que l'évolution des mœurs comme celle des conceptions morales ne permettaient plus de considérer que l'imputation d'une infidélité conjugale serait à elle seule de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération ; que, par ces seuls motifs, elle a légalement justifié sa décision » (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 17 décembre 2015, 14-29.549, Publié au bulletin) ».
A la différence de la diffamation, la simple constatation d'une atteinte à la vie privée suffit à ouvrir droit à réparation, sans qu'il soit nécessaire de prouver un préjudice spécifique.
En clair, le seul fait d’indiquer des éléments de votre vie privée peut être sanctionné. Toutefois, le contexte donnant lieu à la diffusion de cette affirmation sera pris en compte non plus afin de déterminer si vous pouvez être sanctionné ou non mais pour déterminer à hauteur de quel montant.
Dans un tel cas de figure, la défense de Sylvain LEVY pourrait être d’indiquer qu’il s’agit bien d’une atteinte à la vie privée mais qu’elle est justifiée par des accusations personnelles d’avoir brisé le couple que formait son ancien associé avec sa petite amie et que dès lors cela relevait d’une nécessité de placer la vérité au cœur d’un débat d’intérêt général dans lequel il était mis en cause gravement à titre personnel.
En somme : oui, il est possible d’agir efficacement sur ce terrain de la vie privée mais il est peu probable que Pierre CHABRIER obtienne plus qu’une somme symbolique, également connue sous l’appellation « doigt d’honneur » (seuls ceux qui ont vu la vidéo de Sylvain LEVY comprendront cette référence un poil sarcastique au majeur de la main), à ce titre.
Notre avis d’avocat sur le sujet du conflit entre les deux ex-associés est qu’une vidéo comme celle de Sylvain LEVY, fusse-t-elle de qualité d’un point de vue humoristique, n’a pas manqué d’être revue avant publication par un avocat afin d’anticiper les risques qu’elle pourrait entraîner sur le plan judiciaire.
Notre cabinet a déjà été mandaté en ce sens pour anticiper des risques liés à la publication de vidéos avant qu’elles ne soient diffusées sur les réseaux et c’est, par ailleurs, un classique, en matière littéraire, avant la publication de roman autobiographique que de les faire lire par son conseil habituel spécialisé dans le domaine.
L’idée n’étant, à chaque fois, absolument pas d’éviter à tout prix une action en justice (objectif par nature inatteignable puisque dépendant exclusivement de la détermination du demandeur à l’action) mais de faire en sorte qu’en cas d’action, le demandeur puisse être soit débouté soit gagner peu.
A bon entendeur…
Me Sadry PORLON (avocat fondateur).