La « négative harmony » : prétexte à un tour d’horizon des poncifs en matière de droit d’auteur


Il arrive que notre cabinet se trouve confronté à des questions, émanant tant de particuliers que de professionnels, qui nous rappellent que des « légendes urbaines » ou poncifs persistent à circuler en matière de droit d’auteur.

L’un d’eux est illustré par une récente tendance musicale : l’harmonie négative.

Il s’agit d’un concept musical qui repose sur l’idée que chaque note et chaque accord aurait un « opposé » qui pourrait être obtenu via une inversion des notes autour d’un axe de symétrie central.

Concrètement, pour parvenir à une harmonie négative, il convient de déterminer un axe central et d’inverser chaque note autour de cet accord. Il s’agit ainsi de procéder à une transformation d’une mélodie déjà existante via un traitement de « musique en miroir ».  

Cette démarche musicale sincère ne peut néanmoins s’affranchir d’une réalité en matière de droit d’auteur qui veut que l’emprunt à une œuvre originelle et originale, aux fins de réaliser une œuvre dérivée, nécessite l’autorisation préalable de l’auteur l’œuvre première (cf. L.113-4 du Code de la propriété intellectuelle).

Quand bien même le résultat de ce procédé d’harmonie musicale serait mélodieux et rythmé, il ne peut en être autrement.

Ainsi, lorsqu’un client nous interroge sur le fait de savoir si une œuvre issue de cette tendance peut être utilisée dans son projet de film ou de série sans crainte, nous lui répondons invariablement qu’une telle exploitation présente un double défaut.

L’œuvre issue du processus d’harmonie négative (i) porte atteinte aux droits patrimoniaux (droit de représentation et droit d’exploitation) de l’auteur de l’œuvre d’origine et (ii) de surcroît, viole le droit moral (respect de l’intégrité de l’œuvre) de ce même auteur.

L’harmonie négative n’est pas la seule légende urbaine à laquelle nous avons dû tordre le cou.

Avec plus de légèreté et pour ne citer que quelques-unes d’entre elles nous pouvons revenir sur :

  • L’hommage : qui consiste à utiliser l’œuvre d’un tiers et à l’exploiter, commercialement ou non, puis a rétorqué à l’auteur de l’œuvre première qu’il s’agissait de lui rendre hommage. Sans l’autorisation de l’auteur de l’œuvre première, une telle exploitation ne peut pas être considérée comme licite ;          
  • La gratuité : ce concept selon lequel si on ne vend pas l’œuvre qu’on exploite et qui a été copiée partiellement ou totalement sur une œuvre originale, on ne peut ni être poursuivi, ni être sanctionné. En réalité, la loi n’indique nulle part qu’une exploitation commerciale de l’œuvre est nécessaire pour être susceptible de faire l’objet de poursuite pour contrefaçon ;           
  • Le caractère limité dans le temps ou partiel de l’exploitation : les idées selon lesquelles s’inspirer d’un nombre limité de secondes d’une œuvre musicale (la légende raconte qu’il est possible d’exploiter 7 secondes d’une œuvre musicale) et /ou ne reproduire que partiellement une œuvre graphique (quand l’emprunt serait inférieur à 10% de l’œuvre d’origine) ne seraient pas sanctionnables ne reposent sur rien. En effet, la seule question légitime est celle de savoir si l’auteur de l’œuvre d’origine est en mesure de prouver qu’une partie originale (au sens du droit d’auteur) de son œuvre a été utilisée dans le cadre de l’œuvre litigieuse que vous aurez conçue.

D’autres poncifs existent mais nous ne les déclineront pas plus.

En tout état de cause, et parce qu’il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas,  cet article est l’occasion de rappeler qu’il existe bien des exceptions au droit d’auteur mais qu’elles sont strictement limitées et encadrées à l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle.

Il s’agit des exceptions légales suivantes : copie privée, parodie, courte citation, information, revue de presse, conservation par des bibliothèques, enseignement et recherche, reproduction provisoire transitoire ou accessoire inhérente à un procédé technique, reproduction en faveur des handicapés, vente judiciaire et les actes nécessaires à l'accès au contenu d'une base de données,

Parmi elles, nous pouvons nous intéresser, plus particulièrement, aux exceptions suivantes :

  • L’exception de copie privée qui, en pratique, ne vise qu’une copie de l’œuvre effectuée uniquement pour les besoins personnels de celui qui la réalise et qui ne s’étend pas une utilisation collective de la copie (au sein d’un cercle élargi par exemple) ;
  • L’exception de courte citation qui s’évalue au regard des dimensions de l’œuvre citée et de l’œuvre qui exploite la citation et qui doit être justifiée par certaines finalités (critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre d’origine. La citation doit être intégrée à une œuvre ayant une autonomie certaine par rapport à l’œuvre citée ;           
  • L’exception de parodie qui permet la reproduction d’une œuvre dans le but de faire rire. La parodie ne doit toutefois pas chercher à nuire à l'auteur de l’œuvre première, ni créer un risque de confusion entre les œuvres.

En conclusion, en dehors de l’autorisation expresse de l’auteur et des exceptions prévues par la loi, évoquées plus haut, il n’est pas possible d’exploiter une tout ou partie d’une œuvre originale protégée par le droit d’auteur – les autres prétendues exceptions ne constituant que des légendes.  

 

Sadry PORLON – Avocat fondateur et Doréa BACHA – Avocate collaboratrice

 


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