Légendes urbaines autour de Studio Ghibli, d’Open IA et du droit d’auteur


Nous avons pris pour habitude de commenter les sujets qui touchent aux domaines d’activité du cabinet et qui font énormément parler les juristes…comme les non-juristes - l’idée étant d’en faire un prétexte pour revisiter les fondamentaux des sujets en question.

A ce titre, et à l’image des Starter Pack qui ont été la mode du mois d’avril, les illustrations dans le style du studio japonais Ghibli sont incontestablement la tendance du mois en cours depuis que le gérant de la société Open IA a montré la voie au monde entier en transformant son avatar de X (ex-Twitter) en un personnage de dessin animé fortement inspiré de l’univers d’Hayao Miyazaki (créateur de « Porco Rosso » et « Le château dans le ciel »).

Le décor ayant été planté, tout le monde (ou presque) s’est essayé en privé et en public (notamment via Linkedin) à la conception de son avatar.

Le procédé permettant de concevoir ce type de visuel, dû à la dernière mise à jour de Chat GPT, a donc permis à Narendra Modi (Premier Ministre de l’Inde) et Emmanuel Macron d’avoir leur avatar mais aussi à des millions d’utilisateurs plus anonymes.

Parce que le droit est généralement ravi que les gens s’amusent, mais n’en a que faire si cela nuit à un tiers, il est temps de se pencher sur les risques liés à cet exercice de création au demeurant réjouissant.

Légende urbaine n°1 : Si c’est une IA qui le permet, c’est donc qu’il n’IA pas de problème

Première affirmation en partie fausse. L’auteur d’une œuvre bénéficie sur celle-ci de droits patrimoniaux et moraux. Les droits patrimoniaux lui permettent d’être le seul à pouvoir décider des conditions de reproduction ou de représentation de son œuvre.

Ainsi, à la condition d’être en mesure de prouver que son œuvre est originale - au sens où elle marque l’empreinte de sa personnalité (parti pris esthétique caractérisant tout ou partie de ses œuvres notamment par rapport à la façon dont les autres auteurs concevaient les leurs) - il est permis à l’auteur de poursuivre toute personne physique (celui qui reproduit son style) ou morale (celui qui permet de reproduire son style) au motif qu’il n’a, à aucun moment, donné son accord préalable pour qu’il en soit ainsi.

La personne physique a un avantage par rapport à la personne morale, lié à une exception au droit prévue à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle dénommée exception de copie privée. Cette exception permet à la personne physique de faire à peu près ce qu’elle veut avec l’œuvre d’un tiers à la condition que cela constitue une utilisation dans un cercle privé (chez lui en somme).

L’article L. 122-5 al. 1 dispose en effet que lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire « les copies ou reproduction strictement destinées à l’usage du copiste et non destiné à un usage collectif ».

En clair, faites ce que vous voulez chez vous avec vos avatars, mais les reproduire sur LinkedIn à l’attention du monde entier (ou presque) n’est pas autorisé.

Le fait que vous vous soyez servi du logiciel d’un tiers pour le faire n’a strictement aucune importance. Le droit se moque du support sur lequel est reproduite l’œuvre et encore plus du logiciel qui a permis qu’elle soit créée. Son sujet est uniquement le résultat tel qu’il apparaît.

Le droit de la propriété intellectuelle est tout ce qu’il y a de plus binaire :

L’auteur vous a-t-il autorisé à rendre publique une œuvre inspirée de la sienne ? Oui ou non ? Si la réponse est non = prison (ou presque).

En clair, non seulement Open IA doit avoir un accord de licence avec la société de Hayao Miyazaki pour permettre ensuite à ses utilisateurs de s’amuser à créer des œuvres inspirées de son style, mais les utilisateurs eux-mêmes qui rendent publics les contenus ne peuvent pas s’abriter sous le prétexte selon lequel c’est parce que l’outil était disponible qu’ils s’en sont servis.

Légende urbaine n°2 : Hayao Miyazaki ne va quand même pas attaquer des utilisateurs de ChatGPT

C’est en partie vrai. Mais tout dépend des utilisateurs. Il ne va pas attaquer des millions de personnes à travers le monde. Mais encore une fois, rien ne l’empêche de faire ce que bon lui semble ET, parmi ceux qui violent la loi, il n’est pas impossible qu’il choisisse ceux qui se sont le plus enrichis au passage - au premier rang desquels OpenIA (faute de licence signée au préalable) mais aussi les sociétés qui se sont servies de son style pour attirer vers eux des clients. Là encore, le schéma normal aurait dû consister pour elles à solliciter l’auteur pour lui présenter leurs projets de communication, discuter ensuite d’un accord financier, et enfin reproduire l’œuvre dérivée sur les supports convenus entre eux.

Quand vous ne demandez pas à un auteur son accord pour concevoir une œuvre inspirée de la sienne, il perd en effet, a minima, la somme qu’aurait dû lui rapporter un accord négocié avec vous et ce sans compter le fait qu’il puisse également reprocher à l’œuvre, telle que reproduite par vos soins, de déprécier l’intérêt général de la sienne.

Légende urbaine n°3 : S’il n’y a pas encore de procès entre Open IA et Studio Ghlibi c’est donc que c’était permis de le faire

Le droit est binaire, mais l’homme est raisonnable.

Open IA n’en est pas à son coup d’essai sur la question des accords préalables (ou de leur absence) avant d’utiliser d’un contenu. Le dernier en date consistait à ne pas avoir obtenu l’accord de Scarlett JOHANSSON pour faire de sa voix la voix officielle de Chat GPT  4, mais d’avoir quand même décidé de faire appel à une voix proche de la sienne .

Dans un tel cas de figure, l’auteur ou la personne directement concernée fait savoir son insatisfaction. Elle envoie une mise en demeure circonstanciée expliquant le droit à ceux qui font mine de pouvoir s’en affranchir et…on n’entend plus parler de procès par la suite.

Cela ne signifie pas systématiquement, bien au contraire, que l’auteur indélicat a su expliquer qu’il avait raison depuis le début, mais bien plus souvent qu’un accord transactionnel (confidentiel) a été signé.

Sans préjuger des arguments de droit qui seront opposés en défense par Open IA si procès il y a un jour, gardez bien à l’esprit que lorsque l’auteur, que vous êtes, n’a pas été sollicité au préalable, la probabilité pour qu’une utilisation publique de vos œuvres soit permise est proche de zéro…

Il existe bien la théorie de la rencontre fortuite, mais elle implique que celui qui souhaite s’en prévaloir démontre que les similitudes qui existent entre les œuvres sont le fruit du hasard. En l’espèce, ni Open IA ni les utilisateurs ne peuvent raisonnablement le soutenir.

De la même façon, le fair use applicable aux Etats-Unis, qui autorise l’utilisation d’une œuvre à la condition que celle-ci ne nuise pas à l’auteur, ne semble pas non plus idéal comme moyen de défense au regard du préjudice financier qui en découle.

Au moment d’apprécier s’il y a contrefaçon ou non, le sujet du juge qui sera saisi sera de déterminer uniquement si l’œuvre qui a été créée présente des ressemblances (et non des différences) significatives avec la vôtre. Le reste est de l’ordre de la légende…

Légende urbaine n°4 : L’IA peut tout cacher, même les ressemblances entre une œuvre et celle d’un tiers

Cette actualité illustre une fois de plus le fait qu’il est plus facile d’identifier des ressemblances sur des œuvres d’arts visuels que sur des œuvres littéraires quand il s’agit pour une IA de s’en inspirer.

En effet, il est assez facile de dire à une IA de s’inspirer de plusieurs styles d’écriture à la fois pour mieux tromper l’ennemi et empêcher ainsi l’auteur qui se reconnaîtrait partiellement de se plaindre de plusieurs reproductions pures et simples. Il est beaucoup plus complexe de demander à cette même IA de concevoir une œuvre, telle un dessin, ressemblant à ce que fait un auteur sans qu’au premier regard les ressemblances ne sautent au visage.

Ce sont pour ainsi dire les limites du système…

Sadry PORLON (Avocat Fondateur), Doréa BACHA (Avocate Collaboratrice)


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