Peut-on être relax(é) quand on dit « Grosse pute » en parlant d’une femme ?
Comme souvent en matière juridique, la réponse est…ça dépend…
Un récent jugement du Tribunal de police en matière de droit de la presse a fait l’actualité tant en raison des propos tenus par le prévenu que du fait du jugement, de prime abord étonnant, quand on n’est pas un juriste habitué de la matière concernée.
Rappelons le contexte avant de revenir sur les propos litigieux.
Le contexte est plus ou le moins le suivant :
Un officier de police judiciaire qui, cela sera important sur la suite, n’imagine pas être en communication directe avec celle qu’il appelait pourtant sur son portable quelques secondes avant, tombe sur son répondeur avant de ne pas raccrocher correctement.
La suite, on la devine presque, il s’adresse à lui-même ou a minima à ses collègues à proximité de lui en disant les mots suivants reproduits entre guillemets sans aucune forme de censure :
« Putain, elle refuse la confront’ en plus, la pute. Comme par hasard. En fait, c’était juste pour lui casser les couilles ». Avant d’ajouter un peu plus tard « Putain, grosse pute ».
La principale intéressée, qui a eu la surprise de recevoir ces mots peu amènes sur sa boîte vocale, a saisi l’inspection générale de police nationale (IGPN) et porté plainte auprès du Procureur de la république de Paris.
A la suite d’un classement sans suite de la plainte, une plainte avec constitution de partie civile a été initiée par la partie civile laquelle a donné lieu à saisine d’un juge d’instruction.
Ce juge a alors décidé du renvoi du policier devant le Tribunal de police pour y être jugé.
Le Tribunal de police ainsi saisi pour injure non publique en raison du sexe vient de décider d’une relaxe.
Spontanément et d’un point de vue purement moral on peut, a minima trouver cette décision troublante.
Mais le droit est-il de la morale ? (Attention spoiler). La réponse est non !
Dans ce cas précis, il convient, pour mieux comprendre ce qui a peut-être été le raisonnement du juge saisi, de savoir ce qui fait la différence entre un propos public et un propos non public.
Un propos public est généralement accessible à tous sans aucune forme de limitation.
L’article 23 de la loi de 1881 énumère les différents supports de communication pour lesquels on peut considérer que la diffamation est publique :
« (…) par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique (…) ».
La jurisprudence a déjà eu à se prononcer sur le caractère public des propos injurieux diffusés sur les réseaux sociaux en affirmant que si toute personne peut accéder à un site ou un réseau sans que le détenteur du compte ne restreigne cet accès, les propos publiés sur ce compte sont nécessairement publics (Cass. Civ. 1ère, 10 avril 2013, n° 11-19.530, Bull. 2013 I, n° 70).
Afin de déterminer si les propos sont publics ou non, la jurisprudence a dégagé la notion de communauté d'intérêts.
Si les propos sont prononcés devant un cercle restreint de personnes partageant les mêmes intérêts, par exemple si la diffamation ou l’injure a été diffusée sur un compte accessible uniquement à un nombre restreint de personnes sélectionnées par l'auteur des propos, il s'agira alors d'une diffamation non publique.
La jurisprudence considère que la contravention de diffamation ou l’injure non-publique est constituée dès lors que l’écrit ou les propos litigieux avaient été communiqués à l’intérieur d’un « groupement de personnes liées par une communauté d’intérêts ».
C’est donc le cas du propos tenus par le policier.
Il est tenu devant des personnes qui sont ses collègues.
Cependant, et c’est là que le bât blesse, la jurisprudence a ajouté une condition pour les propos (injures ou diffamations non-publiques) soient valablement poursuivis.
Selon elle, lorsque les propos visaient une personne non-destinataire des propos, la diffamation ou l’injure ne pouvait être caractérisée que si « ce courrier avait été adressé à ses destinataires dans des « conditions exclusives de tout caractère confidentiel » (Crim 18 décembre 1984 n°84-90.875 ; Crim 12 avril 2016, n°14-86.176).
Dans une décision du 11 avril 2012 (Crim 11 avril 2012 n°11-87.688), la chambre criminelle de la Cour de cassation a énoncé à son tour que : « les imputations diffamatoires contenues dans une correspondance personnelle et privée, et visant le seul destinataire de la lettre qui les contient, ne sont punissables, sous la qualification de diffamation non publique, que si ladite lettre a été adressée dans des conditions exclusives de tout caractère confidentiel. »
En l’espèce, peut-on prétendre valablement que ce policier qui a enregistré sans le savoir sur le répondeur de la partie civile une insulte la concernant souhaitait véritablement que le propos qu’il a tenu soit largement diffusé et qu’il ne souhaitait pas au contraire qu’il ne reste connu que par ses collègues (à l’exclusion même de la principale intéressée).
Est-il possible de démontrer de son attitude qu’il n’a pas souhaité rendre ses propos strictement confidentiels ?
En somme et aussi étonnant que cela puisse paraître, il semble à votre serviteur qu’il fallait être en mesure de démontrer que les propos tenus étaient certes tenus entre collègues mais que rien ne permettait de dire que l’intention du policier était qu’ils restent secrets pour que le tribunal de police puisse entrer en voie de condamnation à l’encontre de ce dernier.
Au regard des conditions même de l’enregistrement ainsi obtenu par la partie civile, cela pouvait difficilement être prouvé.
Même si nous n’avons pas pu lire le jugement, il ne nous paraîtrait pas incongru que ce soit cette jurisprudence constante que le Tribunal ait appliqué à la lettre indépendamment du caractère outrageusement choquant et violent des propos tenus, dont le policier concerné a d’ailleurs tenu à s’excuser platement et qui lui ont valu, pour la petite histoire, de faire l’objet de sanctions disciplinaires distinctes (cf. mutation d’office, suspension de 4 mois et demi à titre conservatoire, retrait du tableau d’avancement).
Une preuve, s’il en fallait une, que le droit n’est pas de la morale, mais du droit avec de la morale dedans.
Dura lex…sed lex
Sadry PORLON (Avocat Fondateur)