#Balance ton porc n’a pas eu tort : retour sur un revirement pas si surprenant


La Cour d’Appel de Paris a, le 31 mars 2021, infirmé le jugement qui avait condamné Sandra Muller pour diffamation envers Éric Brion. L’appelante, à l’origine du mot clé #Balance ton porc sur Twitter, a finalement obtenu gain de cause, en prouvant sa bonne foi.

 

Les faits remontent à 2017, lorsque Sandra Muller avait écrit sur Twitter :

 

« Toi aussi raconte en donnant le nom et les détails d'un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends. »

 

Avant de publier, une nouvelle fois sur le réseau social, quelques heures plus tard :

 

« Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit. Éric Brion, ex-patron de Equidia #BalanceTonPorc. »

 

  1. Une nouvelle confirmation d’un assouplissement de l’appréciation de la bonne foi selon le type d’expression

 

La diffamation est définie à l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse comme, toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé.

 

En cas de poursuite sur le terrain de la diffamation, le droit n’admet que deux types de faits justificatifs : La bonne foi et l’exception de vérité.

 

L’exception de vérité a pour objet d'établir la vérité des imputations et est très rarement admise par les tribunaux.

 

Dans la plupart des cas, si la diffamation est constituée, l’auteur de la diffamation concentrera ses efforts sur la démonstration de sa bonne foi.

 

Elle permet à l’auteur des propos d’être dégagé de toute responsabilité.

 

Traditionnellement la jurisprudence exige quatre éléments distincts et cumulatifs pour apprécier la bonne foi, à savoir :

 

1) la légitimité du but poursuivi,

2) la qualité des sources (il faut avoir mené une enquête sérieuse),

3) la prudence et la mesure dans l’expression,

4) l’absence d’animosité personnelle (existe-t-il un litige préexistant avec la victime ?).

 

Dans la pratique, on a pu constater à travers le temps que le caractère cumulatif des 4 éléments précités ne concernait plus que les journalistes et les professionnels de l’information.

 

Les tribunaux français, ont, sous l’influence de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), progressivement évolué vers une plus grande souplesse dans l’appréciation de la bonne foi.

 

Cette souplesse s’est manifestée en particulier dans les domaines où il était nécessaire de préserver un large débat sur des questions d'intérêt général.

 

La Cour de cassation, définit l’intérêt général comme : 

 

« Les questions qui touchent le public dans une mesure telle qu'il peut légitimement s'y intéresser, qui éveillent son attention ou le préoccupent sensiblement, notamment parce qu'elles concernent le bien-être des citoyens ou la vie de la collectivité ». (Civ. 1re, 1er mars 2017, n°15-22.946).

 

C’est donc la finalité poursuivie par l'auteur des propos qui est prise en compte pour apprécier la bonne foi. Le fait de savoir si le propos joue un rôle utile et nécessaire à la société.

 

Au-delà de la question d’intérêt général, il apparaît que les juges apprécient désormais, les critères de la bonne foi en fonction de chaque registre d’expression (information journalistique, simple citoyen qui s’exprime, politique etc.…).

 

S’agissant du simple citoyen, qui n’est pas un professionnel de l’information, les juges se montrent de moins en moins strict pour apprécier la bonne foi, surtout depuis l’avènement d’internet (Twitter, Facebook, Blog et autre…). 

 

À ce titre la CEDH considère que : 

 

« grâce à leur accessibilité ainsi qu’à leur capacité à conserver et à diffuser de grandes quantités de données, les sites internet contribuent grandement à améliorer l’accès du public à l’actualité et, de manière générale, à faciliter la communication de l’information  (...) La possibilité pour les individus de s’exprimer sur Internet constitue un outil sans précédent d’exercice de la liberté d’expression. » et que des « informations politiques ignorée par les médias traditionnels ont souvent été divulguées par le biais de YouTube, ce qui a permis l’émergence d’un journalisme citoyen » (CEDH 1er dec. 2015, Cengiz a. c/Turquie, req. 48226/10, Para. 52).

 

Il est donc désormais admis un allègement substantiel des conditions de la bonne foi d’un blogueur, d’un utilisateur de Twitter ou encore d’un utilisateur d’une page Facebook. (TGI Pars 17e ch. Corr., 17 mars 2006, confirmée par CA Paris 11e ch. A, 6 juin 2007, RG n°06/02673).

 

Dans un arrêt récent,  la Cour de cassation a défini une méthode d’appréciation de la bonne foi, que les tribunaux devront adopter pour éviter une cassation, en indiquant que : 

 

« en matière de diffamation, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s’exprimait dans un but légitime, était dénué d’animosité personnelle, s’est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l’expression, de rechercher d’abord, en application de ce même texte, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, afin, s’ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d’apprécier moins strictement ces quatre critères, notamment s’agissant de l’absence d’animosité personnelle et de la prudence dans l’expression » (Crim. 21 avr. 2020, n°19-81.172).

 

La Cour de Cassation « invite » donc les juges, dans un premier temps, à vérifier si les propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante (objectivité des sources).

 

Si cette condition est bien remplie par l’auteur du propos, alors les critères de la bonne foi ne seront pas appréciés aussi strictement et l’objectivité des sources et la légitimité du but poursuivi (qui se confond ici avec le débat d’intérêt général) pourront se suffire à eux-mêmes.

 

Dans le cas contraire, les juges pourront appliquer la méthode d’appréciation traditionnelle de la bonne foi en vérifiant que les quatre critères sont remplis.

 

Les juges sont encore plus souples lorsque les propos émanent d’une personne qui témoigne de son propre vécu.

 

Dans l’affaire Muller nous étions donc exactement dans ce type d’expression, à savoir une personne qui témoignait sur internet de son expérience personnelle.

 

Dans leur arrêt de la Cour d’Appel, les juges ont parfaitement appliqué la méthode soulignée par la Cour de cassation en estimant que :

 

« Même si Éric Brion a pu souffrir d'être le premier homme dénoncé sous le #balancetonporc, le bénéfice de la bonne foi doit être reconnu à Sandra Muller, dès lors que son tweet ne contenait pas l'imputation d'avoir commis un délit pénal et qu'il a été publié dans le cadre d'un débat d'intérêt général sur la libération de la parole des femmes, avec une base factuelle suffisante quant à la teneur des propos attribués à Éric Brion ».

 

En considérant que les propos de Sandra Muller s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général, les juges n’ont pas apprécié les quatre critères traditionnels, et se sont contentés de vérifier si l’initiatrice du hashtag « Balance ton porc » détenait une base factuelle suffisante.

 

Les juges n’ont donc pas estimé qu’en employant les termes « Porc » ou « Balance » Sandra Muller avait manqué de prudence et de mesure dans l’expression, comme l’avait retenu préalablement la 17e chambre civile du tribunal judiciaire de Paris.

 

  1. L’admission d’une approximation dans les propos imputant des faits diffamatoires

 

Il restait à savoir sur quel propos Sandra Muller devait prouver détenir une base factuelle suffisante, et c’est là le point le plus discutable de cette décision.

 

Si Éric Brion n’a jamais nié avoir tenu ces propos, c’est sur l’imputation de faits de harcèlement sexuel qu’il a tenu à engager cette procédure.

 

Or, la Cour d’Appel a estimé que le Tweet de Sandra Muller « ne contenait pas l'imputation d'avoir commis un délit pénal » alors que le Tweet relatant les propos tenus par Éric Brion était précédé du tweet désormais célèbre : « Toi aussi raconte en donnant le nom et les détails d'un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends. ».

 

Le second tweet étant dépendant du premier, il nous paraît compliqué de nier que c’est un fait de harcèlement sexuel qui était imputé à Éric Brion.

 

Dans son jugement rendu le 25 septembre 2019, le Tribunal estimait que la preuve de harcèlement sexuel tel que défini par le Code pénal n’était pas rapportée « en l'absence de répétition des faits et l'absence de chantage ».

 

Quant à la preuve de harcèlement sexuel au travail, elle n’était pas davantage apportée, selon le Tribunal, « en l'absence de lien de subordination ou de collaboration entre les parties ».

La Cour d’Appel estime, quant à elle, que le Tweet ne contenait pas d’imputation d’avoir commis un délit.

 

On pourrait imaginer que les juges ont été convaincus par les arguments de la défense, qui demandait que le terme de « harcèlement » soit compris dans son acception courante et non dans un sens juridique.

 

En estimant que ce n’est pas le délit de harcèlement sexuel au sens du code pénal qui était imputé à Éric Brion, les juges pouvaient alors apprécier beaucoup moins strictement la preuve d’une base factuelle suffisante et ce d’autant que Sandra Muller a pu démontrer, sans être contredite sur ce point avoir été destinataire de propos directs et connotés sexuellement.

 

Ainsi la Cour reconnaît que les propos sur Twitter peuvent supporter une certaine approximation, à condition de s’inscrire dans un débat d’intérêt général, ce qui compte tenu de l’actualité l’était et l’est toujours à ce jour.

 

Il conviendra de lire attentivement, lorsque celle-ci sera disponible, la décision de la Cour d’Appel, afin de vérifier si les motifs des juges font état du fait que désormais certains termes renvoyant à une infraction pénale, peuvent supporter une certaine approximation lorsqu’ils sont employés par des citoyens dans un débat d’intérêt général.

 

Nathan BENZACKEN (Avocat Collaborateur) & Sadry PORLON (Avocat associé)


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