Précisions autour des conséquences d’une notification de contenu illicite


Tu notifieras autant de fois qu’il le faudra

 C’est en substance le commandement que l’on pourrait déduire des 3 arrêts de la 1ère chambre de la Cour de cassation en date du 12 juillet 2012[1].

Ces arrêts ont le mérite de préciser les contours de la responsabilité des hébergeurs concernant les contenus qu’ils hébergent.

Ils placent au cœur du débat la question de savoir quelles sont les conséquences d’une première notification de contenu illicite adressée à un hébergeur dans l’hypothèse où le contenu notifié devait réapparaître sur la plateforme de l’hébergeur déjà averti.

Un hébergeur averti une fois…en veut deux…et ainsi de suite

 Est-ce qu’une première notification oblige d’office l’hébergeur qui l’a reçue à un filtrage du contenu qu’il sait illicite afin d’empêcher toute réapparition, ou à l’inverse, la victime du contenu hébergé doit-elle notifier ledit contenu autant de fois qu’il réapparaîtra sur la plateforme de l’hébergeur, si elle veut pouvoir mettre en cause la responsabilité de ce dernier ?

Dans le cadre de ces différentes affaires, les entités françaises et américaines de Google avaient été poursuivies pour ne pas avoir rendu impossible la nouvelle mise en ligne de différents contenus (photos, vidéos) alors même qu’elles avaient été averties par le biais d’une première notification de l’existence desdits contenus illicites sur ses plateformes.

Google avait bel et bien retiré le contenu une première fois suite à une notification, mais il lui était reprochée la réapparition du contenu litigieux. La Cour d’Appel de Paris avaient, selon les cas, condamné Google pour ne pas avoir pris « les mesures nécessaires pour empêcher » qu’(il) « soit à nouveau mise en ligne »[2]  et pour ne pas avoir mis « en œuvre tous les moyens techniques en vue de rendre l’accès à ce contenu impossible ».[3]

Quid de l’absence d’obligation générale de surveillance ?

Suite à plusieurs pourvois, la Cour de cassation vient de censurer les arrêts d’Appel au motif que : « La prévention et l’interdiction imposées pour empêcher toute nouvelle mise en ligne, sans même avoir été avisé par une autre notification régulière aboutit à soumettre les prestataires à une obligation générale de surveillance des images stockées et de recherche des reproductions illicites et à prescrire, de manière disproportionnée, la mise en place d’un dispositif de blocage sans limitation de temps ».

La Cour de cassation laisse donc entendre que demander à un hébergeur de supprimer un contenu à chaque réapparition du contenu qui lui a été signalé par le passé, revient à mettre à sa charge une obligation qui ne peut lui être imposée compte tenu de la Loi de Confiance dans L’Economie Numérique qui exclut qu’une telle obligation générale de surveillance puisse peser sur les épaules d’un hébergeur (article 6-I-7 de la LCEN).

 Une notification par infraction constatée

La Cour de cassation replace le rôle de l’hébergeur dans celui d’un intermédiaire technique passif à qui l’on ne peut demander d’avoir connaissance de tout ce qu’il se passe sur sa plateforme.

Dès lors, il revient à celui qui se prétend victime d’un contenu qu’il héberge de lui notifier ledit contenu autant de fois qu’il réapparaitra.

En reprochant aux demandeurs le fait que les sociétés Google n’avaient pas été « avisées par une autre notification régulière pourtant requise pour qu’elles aient effectivement connaissance de son caractère illicite et soient alors tenues d’agir promptement pour la retirer ou en rendre l’accès impossible », la Cour de cassation rappelle que le formalisme imposé par les articles 6-I-2 et 6-I-5 de la LCEN.

 On déduit clairement de ces différents arrêts, qui font d’ailleurs référence à un contenu « actuel », qu’une notification de contenu illicite n’a de valeur que pour le contenu dénoncé dans ladite notification.

Le contenu notifié est uniquement celui qui apparaît à un moment M, qui est visualisable depuis un lien hypertexte L, sur une plateforme P, à une date D et à une heure H.

 Dès lors, soit l’hébergeur ne retire pas le contenu notifié dans un délai « prompt » et il engagera sa responsabilité, soit il le retire et dans ce cas, toute réapparition postérieure à cette suppression devra, elle aussi, faire l’objet d’une notification et ce, même s’il s’agit strictement du même contenu (vidéos, photos, images ou textes).

 L’hébergeur pourra désormais valablement reprocher à un notifiant qui lui a déjà notifié par le passé un contenu identique d’avoir estimé pouvoir s’affranchir d’une nouvelle notification pour pouvoir engager sa responsabilité alors même qu’il bénéficiait toujours du régime de responsabilité allégée visé à l’article 6-I-2 de la LCEN.


[1] Cour de cassation, 1re civ. 12 juillet 2012 – Google Inc. et Google France Pourvois n°11-15165 et 11-15188, pourvoi n°11-13666 et pourvoi n°11-13669

[2] CA Paris, ch.5-2, 4 février 2011, RG N°09/21941 (concernant le service Google Images)

[3] CA Paris, ch. 5-2, 14 janvier 2011, RG N°09/11729 ; CA Paris, ch. 5°2, 14 janvier 2011, RG N°09/11779 (concernant le service Google Vidéos)


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