Les contrats IP/IT à l’épreuve du COVID-19 : De la question du respect des engagements…


Indépendamment de toutes mesures d’ores et déjà prises (et à venir) par le gouvernement au titre de la Loi d’urgence sanitaire, les questions posées par le COVID-19 tiennent principalement aux nombreux engagements contractuels signés avant que cette crise sanitaire n’éclate.

 

Ces questions tournent autour de plusieurs enjeux. Nous avons choisi de parler de 4 d’entre eux, lesquels ne peuvent pas prétendre à l’exhaustivité au regard du fait que cette crise pose et posera des difficultés pour certaines inédites secteurs par secteurs. 

 

  1. Je suis prestataire et dans l’incapacité de réaliser la prestation contractuellement due. Que puis-je opposer à mon co-contractant ?

 

Il y a deux notions juridiques qui viennent spontanément à l’esprit dans un tel cas de figure.

 

La première est la force majeure et la seconde l’imprévision.

 

La force majeure est définie à l’article 1218 du Code civil (reprenant le droit positif antérieur en transposant les solutions de la jurisprudence sur le fondement de l’article 1148 ancien du même code) :

 

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur. »

 

Elle entraîne donc l’impossibilité pour le débiteur d’exécuter son obligation.

 

Puisque l’extériorité n’est désormais plus un critère, les deux éléments caractéristiques pour caractériser un évènement de force majeure sont :

 

  1. L’imprévisibilité, qui s’apprécie in abstracto lors de la formation du contrat.

 

Lors de la conclusion du contrat, était-il possible de prévoir, de manière raisonnable, une crise sanitaire ? La réponse est évidemment non, sauf hypothèse d’un contrat signé après le début de la crise et des mesures de confinement.

 

  1. L’irrésistibilité, c’est à dire le fait que l’événement doive échapper au contrôle du débiteur et dont les effets ne peuvent être évités.

 

Il s’agit d’une double question :

 

La survenance de l’événement était-elle inévitable pour le débiteur ? En l’espèce la réponse est oui.

Au moment de la survenance de l’événement, était-il insurmontable de faire face aux conséquences en prenant des mesures utiles permettant d’éviter les effets ?

 

En pratique il faut donc bien identifier l’obligation de chaque partie et se demander pour chacune d’elle si la réalisation de la prestation est possible.

 

Dans le cadre d’une prestation intellectuelle (consulting) il sera donc très compliqué d’invoquer un cas de force majeure rendant impossible pour le débiteur l’exécution de son obligation, surtout dans le contexte actuel au regard de l’existence du télétravail et des moyens technologiques à disposition (l’informatique et les réseaux ne sont pas impactés par le virus ou les mesures gouvernementales).

 

L’article précité du code civil ajoute que si l'empêchement est simplement temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat.

 

Ce n’est que si l'empêchement est définitif que le contrat est résolu de plein droit (c’est à dire sans l’intervention d’un juge) et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.

 

En conclusion, avant d’évoquer une quelconque force majeure du fait de l’existence du COVID-19 assurez-vous bien que vous pourrez remplir les conditions évoquées précédemment et notamment que vous êtes empêchés ou retardés dans votre capacité à délivrer la prestation due.

 

Il faut distinguer la force majeure de la notion d’imprévision, prévue à l’article 1195.

 

En effet l’imprévision prévoit que si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie, celle-ci peut demander une renégociation du contrat. Contrairement à la force majeure, qui elle empêche l’exécution de l’obligation.


Il faudra donc, pour faire valoir cette notion, vous demander en quoi le contexte du coronavirus rend l’exécution de l’obligation à laquelle vous étiez tenu beaucoup plus onéreuse et être en mesure de le démontrer par des pièces.

 

Dans le domaine de l’IT et de prestations informatiques en général, la question d’un surcoût, au regard du caractère immatériel et/ou intellectuel de ce domaine d’activité ne rend pas évidente la démonstration en question.

 

  1. Je suis client et dans l’incapacité financière d’honorer les engagements que j’ai pris compte tenu du fait que la crise du COVID-19 me touche de plein fouet (ex : fermeture d’établissements), est-ce possible de prendre le prétexte de cet événement pour ne pas régler les sommes dues alors même que le prestataire est en mesure d’exécuter ses propres obligations ?

 

Sur ce point, la Cour de Cassation a rendu un important arrêt en 2014 et sa position est claire :

 

« le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure »[1].

 

En d’autres termes une partie à un contrat dont l’obligation est le paiement d’une somme d’argent ne pourrait pas invoquer la force majeure pour ne pas exécuter son obligation.

 

La Cour de Cassation considère que le débiteur peut toujours trouver le moyen de payer une somme et qu’aucun événement ne peut l’empêcher de s’exécuter.

 

En tant que client, je ne peux donc pas de prendre le prétexte de la crise actuelle liée au COVID-19 et aux mesures gouvernementales pour ne pas exécuter mon obligation de payer les sommes d’argent dues alors que le prestataire est, quant à lui, en mesure d’exécuter ses obligations.

 

Dans la pratique, les retours que nous avons de nos clients et de leurs co-contractants laissent apparaître que cette période de crise pousse certaines sociétés durement touchées par la crise à résilier ou à minima suspendre unilatéralement leurs obligations de payer avec les risques juridiques assumés que cela implique.

 

  1. Est-ce que si en tant que client je ne reçois plus la contrepartie de ce qui m’est dû par un prestataire qui se plaint d’être victime du Coronavirus, je peux suspendre le paiement du prix correspondant ?

 

Cette question est moins complexe que les précédentes mais, comme les autres, elle répond à des conditions.

 

Si la crise sanitaire entraine une incapacité (notamment dans les contrats à exécution successive) de votre prestataire à livrer ou à réaliser le produit ou la prestation qu’il vous doit à l’échéance, le mécanisme idoine que vous devriez lui opposer (sauf à souhaiter lui faire un cadeau économique en ces temps de crise) est celui de l’exception d’inexécution.

 

Le principe, visé à l’article 1219 du Code civil prévoit que :

 

« Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ».

 

Dans ce cas, il est inutile de saisir le juge. Vous pouvez cesser de payer au seul prétexte que votre co-contractant est dans l’incapacité de vous offrir la contrepartie des sommes que vous deviez lui verser.

 

Il existe 3 conditions pour faire jouer l’exception d’inexécution.

 

    1. Les obligations doivent être interdépendantes. Le débiteur et le créancier doivent être tenus en vertu d’un même contrat à des obligations réciproques (l’inexécution dont on parle doit véritablement être la contrepartie directe du prix que vous avez versé).

 

    1. Les obligations doivent être à exécution simultanée. On ne peut pas invoquer l’exception d'inexécution si une partie a offert un délai pour s’exécuter.

 

    1. L’obligation doit être non exécutée, peu importe la source de l’inexécution (en l’espèce peu importe que la source de l’inexécution soit une crise sanitaire dont le débiteur n’est pas responsable).

 

Cette exception d'inexécution n’entraîne pas la disparition des obligations.

 

Elle suspend, par principe uniquement vos obligations à son égard.

 

Les options qui s’offrent à vous dans un tel cas sont, en réalité, multiples et contenues à l’article 1217 du Code civil

 

« La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :


- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;

 
-poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ; 


-solliciter une réduction du prix ; (réduction proportionnelle du prix – article 1223 du Code civil).


-provoquer la résolution du contrat ; 


-demander réparation des conséquences de l'inexécution.


Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter ».

 

Dans un cas comme celui que nous vivons actuellement et à condition que l’inexécution soit vraiment due au COVID-19, il est inutile de vous préciser que la suspension de l’obligation est la mesure la plus raisonnable et que les dommages-intérêts comme les demandes de réduction de prix paraîtront quelque peu incongrues pour toute juridiction que vous pourriez saisir en ce sens.

 

  1. Je suis consommateur, je souhaite faire jouer le droit de rétractation dans un délai de 14 jours pour un produit reçu chez moi. Les restrictions de déplacement que j’applique à la lettre m’en empêchent. Que se passe-t-il dans mes rapports avec l’e-commerçant ? Va-t-il, doit-il accepter que le délai soit suspendu ?

 

D’aucuns pourraient se poser cette question compte tenu du fait que les déplacements dérogatoires prévus par le Gouvernement n’intègrent pas les sorties pour cause, à titre d’exemple, de téléphone acheté en ligne et reçu depuis le début du confinement devant être renvoyé dans un délai de 14 jours afin de pouvoir bénéficier du droit de rétractation prévu à l’article L121-20-12 du Code de la consommation.

 

Dans ces conditions, l’impossibilité pratique (puisque la loi est là pour être respectée) de se rendre à la Poste pour renvoyer l’objet concerné fige-t-elle le délai de 14 jours dans le temps pour pouvoir reprendre une fois les mesures de confinement levées.

 

Comme souvent en la matière, l’adage qui met tout le monde d’accord est le suivant : « Là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer ».

 

Le Code de la consommation n’ayant pas prévu d’hypothèse de prorogation ou de suspension de délai de droit de rétractation, il semble que le bénéfice de cette disposition légale ne puisse être suspendu.

 

Une fois cette précision donnée, rien n’empêche le e-commerçant de se montrer compréhensif, même si dans un tel cas de figure cela sera son choix et non pas le droit qui le lui aura imposé.

 

Le contexte actuel pousse à s’engouffrer dans le champ d’application de la force majeure et/ou de l’imprévision mais il est utile de garder à l’esprit qu’en plus d’être une notion qu’il faut démontrer elle n’est pas la seule à pouvoir être utile à la défense de vos intérêts.

 

Petite précision pour finir : Sauf à avoir négocié ce point de gré à gré avec votre assureur, il apparaît que la quasi-totalité des contrats d’assurance professionnelle, toutes activités confondues, excluent expressément l’évènement consistant en une épidémie nationale et a fortiori en une pandémie mondiale.

 

Tous ces développements ont vocation à démontrer que même en période de crise sanitaire mondiale, les mécanismes du droit français sont là pour régler les situations juridiques complexes et que comme, bien souvent, il n’existe, à proprement parler de (Co)vide juridique.

 

A bon entendeur…

 

Auteurs : Nathan BENZACKEN (Elève-avocat) et Sadry PORLON (Avocat associé)

 


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