L'employeur doit-il toujours faire signer une cession des droits d'auteurs ?


Il est assez fréquent de voir des entreprises s’estimer être les titulaires des droits d’auteurs sur une œuvre créée par leur salarié dans le cadre de sa mission de création artistique.

Ces entreprises considèrent qu’engager un salarié pour une mission aboutissant à la création d’une œuvre protégée opère par nature la cession des droits d’auteur du salarié à l’entreprise puisque c’est elle qui est à l’origine de la demande de création.

Ainsi, il parait contre intuitif aux entreprises concernées d’avoir par exemple à payer au salarié en question à la fois un salaire et des redevances en contrepartie de la cession des droits d’auteur nés de sa mission créative en tant que salarié.

Pourtant, en matière de droits d’auteur, hormis des cas spécifiques (II), le salarié auteur d’une œuvre reste titulaire des droits sur son œuvre (I).  

I. Le principe de l'obligation de la cession des droits d'auteur du salarié

Pour rappel des bases du droit d’auteur, l’article L 111-1 du Code de la Propriété intellectuelle constitue le fondement selon lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit est par principe considéré comme titulaire des droits patrimoniaux et du droit moral sur son œuvre.

La cession du droit moral de l’auteur sur son œuvre est interdite sans qu’aucune dérogation ne soit possible[1], ce qui implique que l’auteur est et restera toujours titulaire du droit moral.

Lorsqu’est envisagée la question de céder des droits à une personne tierce, telle que son employeur, seule la cession des droits patrimoniaux de l’auteur sur son œuvre est dès lors envisageable.

Cette cession est particulièrement réglementée par le biais d’un contrat de cession (A), néanmoins la jurisprudence tend de plus en plus à accepter la possibilité de clauses de cession intégrées dans un contrat de travail (B).

A. Une cession au formalisme rigoureux

A l’image du salarié en matière de droit du travail, l’auteur est considéré en droit de la Propriété Littéraire et Artistique comme une partie au contrat qu’il est nécessaire de protéger.

La méconnaissance du droit d’auteur par la plupart des auteurs eux mêmes renforce cette idée que l’auteur est une partie qu’il convient de protéger face aux exploitants.

Un contrat de cession de droit d’auteur doit toujours être formalisé par écrit[2] et ne peut généralement pas faire l’objet d’une cession implicite[3].

Pour se faire, le contrat de cession des droits d’un auteur se doit d’être précis et d’inclure les mentions obligatoires édictées par l’article L 131-3 du Code de la Propriété intellectuelle. Cette précision est d’autant plus importante que tout ce qui n’est pas inscrit clairement dans le contrat de cession est considéré comme n’étant pas cédé, et est au contraire conservé par l’auteur.

B. Envisager la cession au sein du contrat de travail

Si un contrat de cession est obligatoire afin qu’un auteur salarié puisse céder les droits patrimoniaux de son œuvre à son employeur, est-il possible d’envisager en lieu et place d’un contrat dédié, une simple clause de cession insérée dans un contrat de travail ?

C’est une question pratique qui revient assez souvent de la part des entreprises à destination de leur conseil habituel.

Oui, l’insertion d’une telle clause est envisageable selon une décision récente de la Cour d’appel de Paris du 25 janvier 2023[4].

En l’espèce, cette clause insérée au sein du contrat de travail d’une directrice artistique prévoyait une cession au fur et à mesure des créations réalisées dans le cadre de son contrat de travail.

Dans cette décision, la Cour admet la possibilité d’inclure une clause de cession des droits d’auteur directement dans le contrat de travail du salarié auteur en cause et affirme que le salaire prévu dans le contrat de travail est une valable contrepartie de la cession des droits.

Il est précisé que l’absence de ventilation entre le salaire et les redevances est possible et qu’une rémunération forfaitaire est envisageable[5].

Néanmoins, si cette hypothèse en envisageable, il y a tout de même lieu de rester vigilant dans le cadre de la rédaction de cette clause, particulièrement au niveau de la formulation de la contrepartie de la cession, des œuvres et des droits cédés.  

En effet, inclure une clause de cession au contrat de travail, plutôt que de rédiger un contrat dédié à la cession des droits d’auteurs, comporte tout de même des risques en ce que cette clause ne pourra être valide que si elle respecte le formalisme rigoureux précédemment évoqué.

Une clause jugée comme trop générale ou au contraire trop restrictive pourrait avoir des conséquences importantes dans le cadre de l’exploitation des droits d’auteur en cause.

S’appuyer sur la jurisprudence précitée pour considérer que tout est désormais possible en matière de cession d’œuvres par le biais d’un contrat de travail est donc un biais cognitif à éviter notamment au regard du principe de l’interdiction de la cession globale d’œuvres futures.

C. Anticiper la prohibition de cessions futures

Au-delà des mentions obligatoires requises et de la clarté du contrat en cause, il y a lieu de se renseigner sur d’autres principes du droit d’auteur tels que l’interdiction de la cession globale des œuvres futures[6].

Ce principe est particulièrement important lorsque l’auteur est également salarié, en ce qu’il énonce qu’un auteur ne peut pas par avance procéder à la cession des œuvres qu’il n’a pas encore créées.

Si ce principe peut sembler interdire la cession de toute œuvre non encore créée, celui-ci a été précisé par la jurisprudence qui a développé la possibilité de prévoir la cession d’œuvres déterminées au fur et à mesure de la réalisation d’un travail ou de prestations[7].

Par conséquent, il est possible de prévoir un contrat de cession couvrant les œuvres créées par un salarié au fur et à mesure de son travail… à la condition que l’œuvre soit suffisamment déterminée dans le contrat en question.

II. Les exceptions à la cession des droits d'auteur du salarié

Le législateur a tout de même prévu des exceptions dans lesquelles un contrat de cession n’est absolument pas obligatoire.

Ainsi, une cession n’est pas obligatoire en présence d’une œuvre logicielle ou d’une œuvre collective (A), ou bien dans le cadre de certaines professions (B).

A. Une exception selon le type d'oeuvre

Le logiciel

En matière de logiciel, et lorsque celui-ci est protégeable par le droit d’auteur, il existe un principe selon lequel l’employeur est présumé titulaire des droits patrimoniaux sur le logiciel créé par son employé dans le cadre de ses fonctions[8].

Cette présomption n’est applicable que lorsqu’il n’existe pas entre les parties de clause contractuelle contraire.

Si l’auteur du logiciel est un salarié ayant conçu le logiciel en dehors du cadre de ses fonctions, en dehors de son lieu de travail ou de ses horaires, il y a lieu de vérifier au cas par cas afin de vérifier si la dévolution à l’employeur des droits sur le logiciel peut être remise en cause.

En 2021, le législateur a précisé que les auteurs ne relevant pas de l’article L 113-9 du Code de la Propriété intellectuelle parmi lesquels les stagiaires, élèves, intérimaires non-salariés peuvent voir leurs droits patrimoniaux sur les logiciels qu’ils ont créés dans le cadre de leurs missions dévolus automatiquement à leur employeur lorsqu’ils bénéficient d’une contrepartie et sont placés sous l’autorité d’un responsable de l’employeur[9].

Les entreprises et les auteurs se doivent donc d’être vigilantes à la rédaction de leurs clauses contractuelles pour éviter une surprise quant à la titularité des droits sur le logiciel.

L'œuvre collective

L’œuvre collective est une œuvre spécifique en matière de droit d’auteur.

Elle est considérée selon le code de la Propriété intellectuelle[10] comme étant créée sur l’initiative d’une personne morale ou physique qui l’édite, la publie, la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue. Il n’est pas possible aux vues de cette confusion d’attribuer à chacun un droit distinct sur l’ensemble réalisé.

La qualification d’œuvre collective n’est pas toujours évidente, cependant lorsqu’elle est avérée, les droits patrimoniaux des différents auteurs sont considérés comme nés en la personne morale ou physique à l’initiative de l’œuvre.

Les différents auteurs conservent néanmoins un droit moral sur chaque élément qu’ils ont créé au sein de l’œuvre en cause.  

B. Une exception selon le type de profession

En dehors des cas spécifiques du logiciel et de l’œuvre collective, le principe de la cession obligatoire des droits d’auteur est parfois également remis en cause en fonction de la profession exercée par l’auteur.

Le législateur est venu consacrer des exceptions au principe de la cession obligatoire des droits d’auteurs sur l’œuvre en créant des hypothèses dans lesquelles la cession devient automatique.

Pour exemple le Code de la propriété intellectuelle[11] prévoit que l’état devient titulaire des droits d’auteur sur l’œuvre créée par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions ou après instructions reçues, et la loi HADOPI a instauré un principe de cession automatique à l’employeur des droits d’auteur sur une œuvre créée par un journaliste.

Tous ces exemples tendent à démontrer que la cession automatique des droits en faveur de l’entreprise et au détriment du salarié est très loin d’être le principe.

A ce titre, il revient donc à l’entreprise d’anticiper le risque qui pourrait porter sur elle de devoir être mise devant ses responsabilités par un salarié auteur qui, au courant de ses droits, pourrait lui reprocher valablement de ne pas avoir encadré la cession des droits dont il est le titulaire dans un contrat.

Il est toujours préférable de céder via un contrat puis des avenants les œuvres que crée un salarié que de devoir purger via une transaction amiable générant des contreparties financières la question de l’utilisation frauduleuse des œuvres en cause pendant une durée déterminée.

Les enjeux liés au droit d’auteur sont trop importants financièrement pour procéder à leur égard sous la forme d’un pari selon lequel les droits d’auteur finiront par appartenir à l’entreprise et non au salarié en cas de litige.

Sadry PORLON (Avocat Fondateur) et Vicky BOUCHER (Avocate Collaboratrice)


[1] Cette interdiction de la cession du droit moral de l’auteur sur son œuvre est énoncée à l’article L 121-1 du Code de la Propriété intellectuelle.

[3] L’existence de cessions implicites semble parfois reconnue par la jurisprudence dans certains cas spécifiques.

[4] Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 1, 25 janvier 2023, n°19/15256.

[5] « une rémunération forfaitaire n’opérant pas de distinction entre la rémunération de la prestation de travail et la contrepartie de la cession des droits d’auteur est licite ».

[7] Pour l’insertion d’une clause au fur et à mesure de la réalisation du travail dans un contrat de travail CA Paris, Pôle 5, Ch. 1, 25 janvier 2023, n° 19/15256. 

[8] Ce principe de la dévolution des droits patrimoniaux sur le logiciel à l’employeur est énoncé à l’article L 113-9 du Code de la Propriété Intellectuelle.  Il est confirmé en matière de droit international par la directive européenne du 14 mai 1991, article 2-3.

[9] Article L 113-9-1 du Code de la propriété intellectuelle

[10] Article L 113-2 du Code de la propriété intellectuelle.

[11] Article L 131-3-1 du Code de la propriété intellectuelle


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