L’ordonnance du 15 avril 2020 par le prisme du e-commerce


Trois nouvelles ordonnances prises en application de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, ont été publiées au Journal Officiel le 16 avril et s’ajoutent aux nombreuses ordonnances déjà publiées depuis le début de la crise.

 

Parmi ces trois ordonnances, l’Ordonnance n° 2020-427 est venue compléter les règles fixées par l'Ordonnance du 25 mars 2020 en matière de délais afin de répondre aux difficultés ou aux interrogations exprimées par différents secteurs d’activité dont le secteur du e-commerce.

 

Le présent article nous permettra d’aborder cette ordonnance exclusivement à l’aune du droit de la consommation, étant entendu qu’elle n’aborde pas que ce secteur d’activité.

 

Cela nous amènera à aborder successivement le délai de rétractation, le délai de restitution du bien qui s’en suit, le délai de remboursement par le professionnel avant de revenir sur un point peu envisagé qui est celui, dans les contrats à exécution successive courant pour une durée déterminée (abonnement annuel par exemple) de l’adéquation des dispositions contractuelles prévoyant un préavis pour résilier le contrat valablement et celles de l’ordonnance du 25 mars 2020.

 

Quid du délai de rétractation du consommateur ?

 

Si l’application de l’Ordonnance du 25 mars 2020 au droit de la consommation ne faisait aucun doute car conformément au principe Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus (« Là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer »), un doute subsistait quant à l’application de l’article 2 au droit de rétractation prévue à l’article L221-18 du Code de la consommation.

 

La formulation large de l’article 2 générait plusieurs interprétations possibles :

 

« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli [entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (soit le 24 juin, la fin de l’état d’urgence sanitaire étant programmé au 24 mai 2020)] sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. »

 

L’ordonnance de modification est venue mettre fin au débat en précisant que : 

 

« Le présent article n’est pas applicable aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement ».

 

Le délai de rétractation de 14 jours n’est donc pas « suspendu » pour les consommateurs.

 

Le Rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance précise que la faculté de rétractation n'est pas un acte « prescrit » par la loi ou le règlement « à peine » d'une sanction ou de la déchéance d'un droit.

 

Le Rapport ajoute qu’: « une lecture contraire aurait pour effet de paralyser nombre de transactions ».

 

Il existait en effet un risque d’avoir de graves conséquences économique en cas de « suspension » des délais dans certains domaines (notamment dans le domaine de la construction ou de l’immobilier où les projets et les signatures des ventes risquaient d’être bloqués).

 

Cette modification : « a un caractère interprétatif », elle a donc un caractère rétroactif.

 

Au-delà des considérations économiques il ne faudrait pas inciter d’une quelconque façon le consommateur à se rendre à La Poste pour renvoyer un bien qu’il aurait reçu tant il est évident qu’il ne s’agit pas d’achat de première nécessité.

 

Certes la Poste reste ouverte et peut donc accueillir du public mais rendre impératif le fait de s’y rendre pour faire valablement valoir un droit d’être remboursé d’un produit n’aurait que peu de sens vu le contexte actuel.

 

Quid du délai de restitution des biens par le consommateur ?

 

Il est en principe autorisé de se rendre à la Poste. Les bureaux de Poste sont des établissements "indispensables" dont les activités demeurent autorisées et qui restent ouverts durant cette période.

 

En revanche l’attestation de déplacement dérogatoire prévoit comme motif la possibilité de se rendre dans les établissements dont les activités demeurent autorisées mais uniquement pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle et des achats de première nécessité. Il serait compliqué d’admettre que le fait de se rendre à la Poste pour renvoyer un colis dans le cadre du droit de rétractation réponde aux conditions d’autorisation de sortie.

 

Pour information, l’article L221-23 le Code de la Consommation dispose que le consommateur doit renvoyer ou restituer le bien au professionnel au plus tard dans les 14 jours suivant la communication de sa décision de se rétracter.

 

L’Ordonnance modificative du 15 avril 2020 ne vise que les « délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation » en précisant qu’ils ne sont pas concernés par la suspension du délai prévue à l’article 2.

 

Le  Rapport au Président de la République qui accompagne cette Ordonnance  vient néanmoins préciser que : « les délais pour la restitution d'autres biens (« autres » au sens de différents des biens consistant en des sommes d’argent que pourraient rembourser le commerçant visés une phrase au-dessus dans ce même rapport) sont bien inclus dans le champ d'application du texte. »

 

En d’autres termes les délais pour restituer les biens au professionnel sont bien « suspendus » au bénéfice des consommateurs conformément à l’article 2 de l’Ordonnance.

 

Les rédacteurs ont certainement estimé que d’un point de vue pratique il était très difficile pour le consommateur de pouvoir restituer le bien dans le délai (réduction des services de livraison, fermetures de bureaux de Poste).

 

Gageons qu’une telle mesure vise à éviter au maximum les déplacements au risque de propager le virus durant cette période de confinement.

 

Quid du délai de remboursement par le Professionnel ?

 

L’article L221-24 alinéa 1 du Code de la Consommation dispose que lorsque le droit de rétractation est exercé, le professionnel rembourse le consommateur au plus tard dans les 14 jours à compter de la date à laquelle il est informé de la décision du consommateur de se rétracter.
 

Cependant l’alinéa 2 offre la possibilité au professionnel pour les contrats de vente de biens de différer le remboursement jusqu'à récupération des biens ou jusqu'à ce que le consommateur ait fourni une preuve de l'expédition de ces biens. La date qui doit être retenue est celle du premier de ces deux faits.

 

Concernant cet article l’ordonnance modificative ajoute que l’article 2 « n'est pas applicable aux délais prévus pour le remboursement de sommes d'argent » en cas d'exercice du droit de rétractation.

 

Le délai pour rembourser au consommateur les sommes d’argent n’est donc pas « suspendu ». Le professionnel sera donc tenu de le faire selon les dispositions de l’article L221-24 du Code précité et sans pouvoir arguer du bénéfice d’une disposition qui vise à protéger avant tout les intérêts du consommateur ayant rempli sa part « du contrat » en restituant le bien aussi rapidement que possible.

 

Pour finir cet article consacré à l’ordonnance du 15 avril 2020, permettons-nous une digression sur l’ordonnance du 25 mars 2020.

 

Quid du droit de résiliation d’un contrat à reconduction tacite ?

 

L’article 5 de l'Ordonnance du 25 mars 2020 prévoit que lorsqu'une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu'elle est renouvelée en l'absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s'ils expirent entre le 12 mars et le 24 juin 2020, de deux mois après la fin de cette période.

 

On pense ici aux contrats d’abonnement à un service (télévision, internet, téléphone) par exemple, dans lesquels il est, par ailleurs (quand cela est contractuellement imposé) nécessaire d’envoyer une lettre avec accusé de réception avant une certaine date pour s’opposer au renouvellement du contrat.

 

La circulaire du 26 mars 2020 donne un exemple pratique :

 

« Un contrat a été conclu le 25 avril 2019 pour une durée d’un an. Il contient une clause prévoyant que le contrat sera automatiquement renouvelé sauf si l’une des parties adresse une notification à son cocontractant au plus tard un mois avant son terme. Chaque partie avait donc jusqu’au 25 mars pour s’opposer au renouvellement. Ce délai ayant expiré durant la période juridiquement protégée prévue à l’article 1er de l’ordonnance, le contractant pourra encore s’opposer au renouvellement du contrat dans les deux mois qui suivent la fin de cette période, soit dans les trois mois qui suivent la cessation de l’état d’urgence. »

 

On peut ajouter un exemple peu pris en considération quand on envisage le délai de préavis et la crise du Covid.

 

Un contrat venant à échéance le 11 avril (renouvellement tacite pour un an supplémentaire) mais prévoyant un délai de préavis d’un mois pour s’opposer à son renouvellement impose que l’abonné ait valablement notifié au cocontractant sa volonté de ne pas renouveler le contrat au plus tard le 11 mars, dans le cas contraire il ne pourrait pas bénéficier des dispositions de l’article 2. Peu importe que le terme de l’échéance donne facialement l’impression que l’échéance est du 11 avril (et donc soit dans le délai situé entre le 12 mars et le 24 mai + 1 mois) quand on fait le constat que le formalisme aurait dû imposer à l’abonné de faire savoir sa volonté de ne pas renouveler le contrat au plus tard le 11 mars. C’est la loi des parties qui s’applique et non plus l’Ordonnance.

 

Pour ce qui concerne les contrats dont l’échéance se situe dans le délai précité, il nous apparaît que rien n’oblige formellement un opérateur à fournir le service à l’abonné durant la période de confinement. Ce n’est pas le contrat qui est prorogé d’office mais la capacité de l’abonné à faire connaître sa volonté de résilier après la période indiquée précédemment.

 

Dans ces conditions, il est préférable d’assouplir le formalisme de la résiliation mis en place dans les contrats d’abonnement de ce type en précisant par mail aux abonnés concernés par la prorogation, que du fait que leur capacité de résilier se trouve temporairement entravée, il leur est offert le moyen de faire savoir leur volonté de résilier le service d’un simple clic, tout en leur précisant qu’en cas de refus de résilier il leur sera facturé la période supplémentaire durant laquelle ils auront profité du service. Cela aurait le mérite d’éviter toute demande de restitution d’un indu au prétexte que l’abonné ne voulait pas bénéficier du service tout en étant contraint de continuer d’en disposer, faute pour lui de le résilier.

 

L’ordonnance du 16 avril n’apporte aucune modification à cet article.

 

Voilà qui clôt temporairement les réflexions dont nous habitue désormais le législateur en cette période de confinement.

 

Force est de constater qu’il ne chôme pas, que ses écrits contribuent à permettre aux juristes, d’une part, et aux avocats, d’autre part, de rester en veille permanente ; à la recherche de ses oublis sectoriels potentiels, du sens caché des déterminants qu’il utilise et dans l’attente d’ordonnances modificatives visant à préciser sa pensée.

 

Tout un programme…

 

Auteurs : Nathan Benzacken (Elève-avocat) et Sadry PORLON (Avocat associé)


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